Accords

Une sélection de morceaux de musique en résonance avec chacune des dix nouvelles du recueil. À écouter avant, pendant, ou après leur lecture.


Allegro

“ Peu à peu, les envolées de la musique firent naître en elle une sorte d’allégresse. Au point qu’à la fin du troisième mouvement, elle se demanda, toute surprise, pourquoi elle n’allait pas plus souvent au concert à Paris. Car elle aimait la musique. Les laborieuses leçons de piano de son enfance n’avaient pas réussi à l’en dégoûter. ”

La protagoniste de la première nouvelle, intitulée Allegro, vibre au son d’un quatuor de Felix Mendelssohn. Il pourrait fort bien s’agir de l’opus 44 n°2 du compositeur, interprété à Saintes par le fougueux quatuor Arod en 2017 :


Andantino

“ Ce soir, on jouait Monteverdi. Elle en éprouvait déjà du plaisir – la perfection des voix, la sensualité des instruments d’époque, la lumière dorée dans l’abbatiale… ”

Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, une femme se réjouit de partager avec son compagnon la beauté d’un concert. Le psaume Laetatus sum (Je suis dans la joie), mis en musique par Monteverdi dans les Vêpres de la Vierge, reflète sans doute bien ses émotions. L’œuvre est ici dirigée par Philippe Herreweghe, figure tutélaire du Festival de Saintes :


A tempo

“ Une fois le silence revenu, l’orchestre attaqua les premières mesures de la symphonie de Haydn surnommée La Reine. Voulant profiter pleinement du concert, il avait “révisé” cette œuvre en l’écoutant en boucle depuis deux jours, et s’était surpris à beaucoup l’aimer. L’atmosphère à la fois légère et décidée du premier mouvement le rasséréna aussitôt, et il se mit à battre du pied la mesure – avant de se souvenir qu’il n’était pas à un concert de jazz. ”

Dans cette histoire, un père vient écouter sa fille jouer au sein du Jeune Orchestre de l’Abbaye la Symphonie de la Reine. Le chef américain qui dirige la version ci-dessous aurait-il un rapport avec celui décrit dans la nouvelle ? Réponse dans le programme du Festival 2017.


Sehr langsam

“ Elle regarda du côté de la scène, où ses parents chantaient – “répétaient”, comme ils disaient. Ils lui avaient bien recommandé d’être sage, et d’obéir à la jeune fille qui d’habitude s’occupait d’elle quand elle n’avait pas école, et qu’ils avaient voulu emmener avec eux en France. Mais elle s’ennuyait vraiment trop. ”

Allemande par sa mère, la petite fille qui trouve le temps si long et attend patiemment que vienne enfin “demain” pour que ses parents l’emmènent au bord de la mer pourrait chanter avec Sandrine Piau ce sublime lied de Strauss :

Morgen

Und morgen wird die Sonne wieder scheinen

Und auf dem Wege, den ich gehen werde,

Wird uns, die Glücklichen sie wieder einen

Inmitten dieser sonnenatmenden Erde…

Und zu dem Strand, dem weiten, wogenblauen,

Werden wir still und langsam niedersteigen,

Stumm werden wir uns in die Augen schauen,

Und auf uns sinkt des Glückes stummes Schweigen…

Demain

Et demain le soleil brillera à nouveau,

Et sur les chemins que j’emprunterai,

Il nous unira à nouveau, nous les heureux,

Au sein de cette terre qui inspire le soleil,

Et vers la plage, vaste, aux ondulations bleues,

Nous descendrons calmement et lentement,

Silencieux nous nous regarderons dans les yeux, 

Et sur nous descendra le silence muet du bonheur


(traduction Luc Roger)


Largo

“ Voulant simplement au départ visiter l’Abbaye aux Dames, il s’était retrouvé à assister au concert de midi, donné par un ensemble baroque qui l’enthousiasma, même s’il connaissait mal ce genre de musique – le nom des compositeurs au programme, Quentin et Guillemain, ne lui disait d’ailleurs rien. ”

Comme pour le personnage de cette histoire, le concert donné en juillet 2016 par l’ensemble Nevermind a été le sésame m’ouvrant les portes du Festival de Saintes. Au programme, deux compositeurs baroques français peu connus – Jean-Baptiste Quentin et Louis-Gabriel Guillemain – auxquels les Nevermind venaient de consacrer leur premier et fort beau disque :


Tranquillo

“ En voyant les gens entrer un à un sous le porche en tendant leur ticket, elle se souvint qu’on était samedi et que le lendemain matin aurait lieu “la messe du festival”, comme on l’appelait dans la paroisse. Ça lui faisait toujours drôle de voir le curé officier sur la scène installée pour les musiciens. À ses yeux, c’était même un peu sacrilège : la messe n’était pas un spectacle ! Et l’église n’était pas une salle de concerts. Mais Madame Lavergne, du conseil paroissial, qui connaissait tant de choses et ne se privait pas de le faire savoir, lui avait dit que puisque beaucoup d’œuvres du festival étaient de la musique sacrée, il n’y avait guère à s’en offusquer. ”

Les cantates de Bach, données chaque jour à midi dans l’église abbatiale, constituent un rituel du Festival de Saintes. Malgré ses réticences, l’héroïne de cette nouvelle apprécierait sans doute d’entendre chanter dans “son” église ce chef-d’oeuvre célébrant le Christ :


Appasionato

“ Ce qu’il avait préféré, c’était le gospel, car on devait à la fois taper dans les mains, se balancer d’un pied sur l’autre et pousser à fond sa voix : franchement, c’était trop bien…

Le jeune garçon qui participe au stage de chant proposé comme chaque année par le Festival de Saintes “kifferait” sûrement ce morceau du Kronos Quartet :


Adagio

“ Les applaudissements durèrent longtemps, et il se réjouit de voir les instrumentistes et les chanteurs revenir pour un bis. Lorsque la soprano reprit son magnifique “But oh! What art can teach”, il éprouva la même émotion que précédemment. Quelle pureté. Quelle simplicité.

J’ai eu la chance d’écouter Zsuzsi Tóth interpréter cet air à Saintes en 2017, année où Lionel Meunier et son ensemble Vox Luminis nous ont offert la superbe Ode à sainte Cécile de Haendel :


Presto con fuoco

“ Était-ce le travail de la journée qui portait ses fruits ? L’écoute particulièrement intense du public qui les galvanisait en cette fin de concert ? Ou la manière dont la fougue de Beethoven résonnait dans l’abbatiale plongée dans l’obscurité ? À mesure que se déployait le presto final du Huitième Quatuor, la vigueur qui lui manquait encore l’après-midi même était soudain là. Imprévisible, inexplicable, le petit miracle se produisait enfin.”

Trépidant et mystérieux, ce presto à l’exécution périlleuse est ici interprété par le Quatuor Ébène, qui en 2019 a joué à travers le monde l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven :


Vivace

“ Il fut tiré de sa torpeur par un tumulte étrange et assourdi. ”

L’œuvre entendue par le très jeune protagoniste de la dernière nouvelle ne serait-elle pas le Printemps de Vivaldi, dans cette version contemporaine revisitée par Max Richter ?